La semaine dernière, les réactions provoquées par le mauvais film amateur souhaitant attaquer le prophète musulman ont semblé conforter les clichés de choc des civilisations et de printemps arabe qui tourne à l’islamisation.
En Egypte du moins, la situation est quelque peu plus nuancée.
Les « barbus » n’étaient pas toujours majoritaires dans les affrontements violents devant l’ambassade américaine du Caire en protestation contre le « film anti-islam », selon des observateurs. C’est peut-être qu’affronter les forces de l’ordre est devenu un sport national pour tous ceux qui n’en peuvent plus de l’Etat à la fois absent et répressif.
Certes, en Egypte, aussi bien les salafistes que les Frères musulmans se sont indignés de cette représentation grotesque du prophète Mohammad et ont appelé à protester contre cette provocation, et à davantage de respect envers la religion musulmane dans l’application du principe de la liberté d’expression aux Etats-Unis.
Mais les Frères musulmans au pouvoir peuvent se féliciter de manifestations plus pacifiques qu’en Libye, Soudan ou Liban, par exemple, et aussi de l’absence, pour le moment, d’aggravation des tensions communautaires.
Equilibrisme des Frères musulmans
Il était difficile pour les Frères musulmans, qui ont l’un des leurs, Mohamed Morsi, à la tête du pays, de trouver la meilleure réaction, coincés entre leur stature de défenseurs de la religion et poussés dans la surenchère par les salafistes, et leur responsabilité gouvernementale, qui impose de protéger les Coptes et de maintenir de bonnes relations extérieures avec par exemple les Etats-Unis.
Les Frères musulmans ont appelé à manifester, puis se sont ravisés devant les violences commises notamment en Libye et ont plutôt conseillé une petite manifestation paisible sur la place Tahrir.
Mais ils ont aussi condamné l’excessive liberté d’expression qui règne aux Etats-Unis, quand il s’agit d’attaquer la religion musulmane. Ils font remarquer qu’un film négationniste envers le massacre des juifs d’Europe aurait été condamné par la loi, liberté d’expression ou pas.
Google et Youtube ont plus ou moins coopéré en bloquant l’accès à la vidéo en Egypte et en Libye, et la secrétaire d’Etat américaine aux Affaires étrangères, Hillary Clinton, a condamné l’irrespect de toute religion.
De leur côté, les Frères musulmans ont fermement condamné toute violence, et, bien que le navet blasphématoire ait apparemment été produit par un américano-égyptien, ont rappelé que tous les Egyptians, chrétiens et musulmans, étaient indignés par cette attaque contre une religion : »l’expression pacifique de leur mécontentement est le droit et le devoir de tout Egyptien, musulman ou chrétien ». Le Hezbollah libanais aussi avait senti le danger et avait accusé les auteurs du « film » d’avoir voulu attiser les tensions confessionnelles, et avait appelé les musulmans à ne pas tomber dans le piège.
« Les Frères ont très mal géré leur communication avec les USA. Mais il faut dire qu’ils avaient à résoudre une quadrature du cercle: comment éviter un désastre confessionnel, sans apparaître tiède dans la défense de la foi, sans aller trop loin dans l’escalade contre les USA. »
Tewfik Aclimandos, chercheur associé à la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, et spécialiste de l’histoire de l’Egypte.
Mais le président américain Barack Obama n’a pas apprécié l’exercice d’équilibrisme des Frères musulmans, et a déclaré que l‘Egypte n’était ni un ennemi ni un allié…
« On peut s’étonner du fait que le président Morsi, qui a pourtant vécu plusieurs années aux Etats-Unis, ne semble pas connaître la constitution américaine et son premier amendement puisqu’il demande aux Etats-Unis de restreindre la liberté d’expression. Ces prises de position sont donc très largement démagogiques et visent surtout à marquer des points dans la politique politicienne locale, face à leurs rivaux. »
Karim Emile Bitar, Directeur de recherche à l’IRIS
Ne pas se faire déborder par les salafistes
D’après Karim Emile Bitar, « ce film serait passé totalement inaperçu si une chaîne de télévision salafiste égyptienne, financée par des capitaux saoudiens, ne l’avait pas diffusé et monté en épingle pour provoquer des réactions violentes. »
« Cela me semble s’inscrire dans une volonté de confisquer et de kidnapper les révolutions arabes, dont les islamistes n’ont nullement été à l’origine. Cela s’inscrit également dans le bras de fer de plus en plus marqué entre le courant des Frères musulmans et celui des salafistes.
Les salafistes rivalisent et font des surenchères pour apparaître comme les véritables « défenseurs de la foi ».
Les ultra-conservateurs manipulent les peurs et les frustrations à des fins politiques. Derrière l’habillage religieux, ce sont des intérêts profanes qui les motivent. Nous sommes clairement en présence d’une instrumentalisation du religieux à des fins politiques. »
Karim Emile Bitar
Dans l’ensemble, le président égyptien aurait pu faire pire, étant données sa formation politique et les circonstances? Certains reprochent tout de même à Mohamed Morsi de n’avoir pas annulé sa visite en Europe alors que des événements importants se déroulaient au Caire.
Par ailleurs, la posture morale du Président est quelque peu entachée par la visite de Omar El Béchir en Egypte, qui a été reçu dignement, bien qu’il soit sous le coup d’un mandat d’arrêt par la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis sous ses ordres au Darfour.
